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Les enjeux mondiaux du « printemps français »

A suivre l’ensemble des débats organisés pendant la campagne électorale, il semblerait que la plupart des médias et aussi des divers commentateurs, focalisés sur les affaires intérieures, n’aient pas pris conscience de l’enjeu considérable que revêt l’élection présidentielle française dans le paysage politique et économique mondial – à moins qu’ils se soient tous refusés à aborder un thème aussi compliqué qu’inquiétant.

Certes, les questions de politique étrangère et de défense n’ont jamais retenu l’attention ni des médias ni des candidats lors des élections précédentes : domaine méconnu et peu porteur car éloigné des préoccupations immédiates du débat interne ; les présidents sont élus sur leur cote de popularité instantanée, voire sur leurs slogans sociaux, parfois par défaut.

Ce printemps 2017 devrait faire exception non seulement parce que les tensions internationales sont vives, notamment entre les « trois empires » américain, russe et chinois, mais aussi en raison des programmes affichés d’un grand nombre de candidats à la présidence de la République dont le moins qu’on puisse écrire est qu’ils ajouteraient du désordre à l’instabilité mondiale actuelle. La place de la France dans le monde est encore, tant sur le plan politique que stratégique et économique, d’une importance telle pour que l’élection de son président doive se faire autant sur ces critères-là que sur leurs promesses programmatiques sociales.

Pourquoi l’élection présidentielle française aurait-elle, plus qu’une autre, une résonance mondiale ? A en croire les déclarations des candidats, neuf d’entre eux sur onze sont favorables voire déterminés à quitter à la fois la monnaie commune, l’Union européenne et l’alliance stratégique de l’OTAN. Or, il se trouve que la France, dans toutes ces organisations d’une importance majeure pour les équilibres mondiaux, y tient un rôle essentiel.

Certes, ces organisations sont loin d’être irréprochables : difficulté à répondre aux problèmes contemporains, rigidité structurelle qui freine leur évolution. Mais à tout prendre, défauts et qualités, il semble bien qu’il faille réfléchir et hésiter avant de jeter le bébé avec l’eau du bain ! D’un côté, français, que pourrait faire notre pays – puissance moyenne par « nature » faut-il le rappeler – seul ou isolé par un « souverainisme » archaïque dans un monde où l’effet de taille est essentiel voire vital ? D’un autre, européen, que deviendraient la construction européenne et la monnaie avec la chaise laissée vide par la France ? Ces institutions n’y résisteraient pas, surtout après le coup de poignard britannique. A-t-on sérieusement envisagé, malgré les faiblesses stratégiques de l’Union européenne, ce que serait le monde sans l’Europe ? Sur le plan économique, l’UE – ainsi réduite – de première puissance mondiale reviendrait au rang du Japon ; ce n’est pas rien et ce serait en tout cas aggraver et accélérer la rivalité sino-américaine. Le match à trois (UE, USA, Chine) est à la fois plus équilibré et plus modéré, l’Europe étant pourvoyeuse majeure de normes. Sur le plan monétaire, l’euro en quelques années était parvenu à se hisser au rang des grandes monnaies internationales ; le ramener à un deutschemark de fait laisserait à nouveau le champ libre au dollar et ouvrirait un boulevard au renminbi chinois.

Sur le plan stratégique, tout le monde déplore l’inconsistance européenne, même si la Grande-Bretagne et la France figurent d’une part au rang des puissance nucléaires « légitimes » et d’autre part disposent des forces militaires les plus expérimentées et les plus efficaces du monde. Même si la défense européenne stricto sensu est toujours dans les limbes, il n’empêche qu’existe une solidarité de fait sans compter des structures innombrables qui créent un écheveau de coopérations utiles. Faire éclater cette amorce de système, c’est laisser encore plus libre le champ aux Américains, aux Russes et à bien d’autres.

Le monde est déjà soumis aux coups de boutoir imprévisibles et non maîtrisables des chefs d’Etat majeurs du moment ; ils sont en voie de remodeler le monde à leur manière, brutale et mesurée à l’aune de leurs seuls intérêts. Dans ce concert cacophonique, quelle serait l’audience de la voix de la France ? Nulle sans aucun doute. L’audience de la France dans le monde s’est construite sur sa capacité à proposer des solutions réalistes, à rassembler les nations, à être un démultiplicateur de puissance.

La France, vaille que vaille et depuis de Gaulle, s’est hissée à un rang mondial parce qu’elle s’est placée elle-même au cœur des institutions mondiales et européennes. De façon paradoxale, cette fameuse « souveraineté » que tout le monde invoque à tous propos réside justement là, dans cette capacité unique à se rendre irremplaçable dans le système mondial. La France est une pièce centrale et essentielle du système mondial. Le quitter ou se mettre en marge conduirait inéluctablement à redevenir définitivement un pays moyen, jouet et non plus acteur du monde, et de fait dépendant dans tous les domaines, et de plus soumis aux foucades des grands de ce monde. Ce serait une régression désastreuse ; notre devoir est de tout faire pour l’éviter.

Eric de La Maisonneuve