AGIR

AGIR est la revue périodique de la Société de Stratégie. Fruit d’une réflexion stratégique sur le monde, elle était jusqu’en 2014 le principal outil de diffusion des idées de la Société de Stratégie. Depuis notre passage au numérique, elle est remplacée par notre rubrique e-agir.

Sommaire et thèmes des numéros


Présentation de la collection

« Une nouvelle manière d’Agir »

Depuis septembre 1999, nous avons tenté de « faire le point » stratégique sur notre monde. Tour d’horizon des principaux acteurs – à l’exception des Etats-Unis -, ceux autour desquels se noue la problématique du futur, et c’est dans cette perspective qu’il fallait lire les dossiers constitués sur l’Europe, l’Afrique, la Russie, l’Amérique latine et, récemment, la Chine. Mais regard circulaire aussi sur les thématiques les plus lourdes de notre époque, celles qui véhiculent, accompagnent ou font les frais de la modernité et qui, toutes, tournent autour du concept de « crise ».

Telle était l’ambition des premiers numéros de faire l’inventaire de la crise du monde moderne et, donc, d’une certaine façon, de la crise de notre modernité. Ce faisant, nous avons dégonflé pas mal de baudruches et constaté nombre de réalités intangibles. Ce que nous avons surtout appris, chemin faisant, c’est que le monde ne s’acceptait pas tel qu’il était devenu. La plupart des analystes cherchent encore dans les doctrines du passé des recettes pour le fonctionnement et pour le développement de nos sociétés. Ils contribuent ainsi au « malheur du monde », comme l’écrivait Camus, car ils se trompent sur les réalités ; leur vision du monde est fausse.

Nous sommes un certain nombre d’observateurs du monde et d’analystes de situation à avoir établi un diagnostic : le monde est en crise, cette crise est structurelle et donc durable ; elle est en outre souhaitable puisqu’elle nous permet d’échapper à un manichéisme maléfique – pour faire court, celui de la guerre et de la paix. Il ne s’agit plus, par quelque tour de magie, de sortir de notre univers critique – encore moins de tenter un retour au passé, ce à quoi incite la « puissance » -, mais bien de le comprendre, de l’assumer et de tenter de le maîtriser. Tel est l’enjeu des prochaines années, tel est le seul avenir possible pour une Europe responsable.

Il faut aussi dénoncer les apparences et faire un sort aux fausses bonnes idées. On nous chante depuis quinze ans l’avènement du virtuel, la fin des territoires, le déclin du politique et autres chimères. Ce dossier le montre bien ; ce que la crise nous apprend et nous oblige à reconsidérer, c’est au contraire la permanence des « fondamentaux » : le territoire d’abord, c’est-à-dire notre planète terre hors de laquelle nous ne sommes rien et à laquelle nous devons tout, à commencer par notre pain quotidien, notre oxygène, notre énergie ; les êtres humains tout de suite après, c’est-à-dire la démographie, seule justification de notre démarche et dont la problématique « lourde » doit être notre préoccupation ; l’organisation socio-politique, c’est-à-dire l’Etat, enfin comme seule architecture possible entre les uns et les autres, celle qui abrite nos différences et défend nos intérêts. Tant qu’il y aura des hommes, ces trois-là seront l’alpha et l’omega de l’humanité.

Mais ce que la crise nous apprend et qui est la vraie révolution des temps modernes, c’est que la relation entre ces trois éléments fondamentaux s’est modifiée. L’homme et sa volonté de liberté se sont installés – presque partout – au centre du dispositif. Le « système » du monde n’a de légitimité désormais que pour lui permettre de vivre, selon les diverses valeurs qu’il a privilégiées au gré des civilisations, en relation et en accord indispensables avec son environnement nourricier. Il s’agit là d’une inversion des facteurs stratégiques ; après quelques milliers d’années de domination du « haut » et d’obéissance à toutes sortes d’idéologies, notre époque découvre, parce qu’elle en a les moyens techniques et l’expérience historique, ce que chantait Hölderlin dans La Mort d’Empédocle, les destins liés de l’homme et de la terre, la primauté de l’aval : il n’y a rien qui n’aille vers le « haut » qui ne vienne du « bas ». C’est le principe même d’une démocratie que nous pratiquons peu, mais qui deviendra une ardente obligation dès lors que nous aurons compris qu’il nous faut d’une part échapper au chaos qui menace, d’autre part éviter de sombrer dans de nouveaux et si redoutables totalitarismes.

Autre tentation à laquelle l’analyse stratégique nous montre qu’il ne faut pas succomber : l’orgueil de vouloir changer le monde. C’est dans ce monde qu’il nous faut vivre, c’est ce monde critique qu’il faut savoir intelligemment réorganiser et adapter aux besoins des hommes comme aux ressources limitées de son environnement. Il ne s’agit pas de rêver encore quelque utopie alors que nous savons le prix payé pour les précédentes et que nous pouvons subodorer que ce prix sera incomparablement plus élevé pour d’éventuelles suivantes. La stratégie n’est qu’un mode d’emploi du réel. Rien d’autre, mais tout cela. Ce qui n’est pas peu de chose et qui reste à inventer.

Eric de La Maisonneuve