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« Récupération » de la Crimée et stratégie maritime, par Mathieu Boulègue*

Alors même qu’un cessez-le-feu artificiellement contrôlé semble tenir entre l’Ukraine et les autorités séparatistes du Donbass, la Crimée est désormais partie intégrante du territoire de la Fédération de Russie. Mélange de raison d’Etat et de recours à l’histoire comme justification interventionniste, l’opération russe en Crimée s’explique par plusieurs objectifs maritimes complémentaires.

Abandonnant la stratégie de la tension contrôlée pour une action militaire, Moscou a préempté la potentielle remise en cause du bail de la Flotte de la mer Noire par la nouvelle équipe au pouvoir à Kiev depuis février 2014. Le Kremlin s’est une fois pour toutes débarrassé d’un épineux problème juridique qui aurait pu jouer en sa défaveur sur le long terme.

En contrôlant directement les infrastructures portuaires de Crimée, Moscou conserve également l’accès aux mers chaudes, nécessaire au désenclavement et au rayonnement mondial. En termes de débouchés, il est important de rappeler que 30 % du commerce maritime russe transite par la mer Noire. La question énergétique représente également une donnée majeure de l’équation pour le passage des pipelines et l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz.

Ensuite, la mainmise totale sur les installations de défense de Crimée permet de sécuriser l’accès à la mer Méditerranée, où la marine russe a opéré un retour militaire conséquent depuis 2013. Cela offre également une possibilité de repli en cas de perte de la base de Tartus, en Syrie. En toile de fond, la présence russe en Crimée donne au Kremlin la possibilité de conserver un droit de regard direct sur le périmètre géostratégique régional, et notamment sur la Turquie et l’Iran.

Enfin, l’intervention militaire russe visant à « récupérer » la Crimée peut aussi être comprise comme une façon d’éviter « l’otanisation » de la mer Noire. Ce nouveau statu quo entraîne désormais une situation imprévue : la Roumanie et la Bulgarie possèdent aujourd’hui une frontière maritime directe avec la Russie.

* Mathieu Boulègue est expert associé à l’IPSE – Programme Europe et Eurasie – Associé Cabinet de conseil en management des risques AESMA.