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La mer des Caraïbes : un espace maritime en plein bouleversement, par Antoine Rivière*

L’élargissement du canal de Panama devrait accroître un trafic maritime qui tendait depuis longtemps à décliner. Depuis l’apparition de porte-conteneurs aux gabarits trop larges, les post-Panamax, le canal conserve un poids stratégique en concentrant 5 % des échanges internationaux. Avec un canal élargi, les grands ports des Antilles (Kingston, Freeport, …), et certains outsiders comme Cuba, voient une possibilité de s’imposer définitivement dans ce système de hubs régionaux.e-agir-20141222-a-riviere-panama-carte

Adapter les infrastructures portuaires

Au delà de la position géographique, cette compétition repose principalement sur l’adaptation des capacités d’accueil1 aux standards des post-Panamax et sur la mise en place d’un régime de taxe compétitif. Or les conditions à atteindre sont si hautes et si onéreuses qu’en définitive peu de ports peuvent concourir.

La mobilisation des hubs des Grandes Antilles

Kingston et Freeport sont les hubs les plus attractifs des Caraïbes, après celui de Colon. Ils offrent un mouillage en eau profonde, des infrastructures adéquates, et une fiscalité avantageuse. Ils sont talonnés de près par les ports francs de Caucedo et de San José. Ces quatre ports ont des projets d’expansion ambitieux.
Du côté des outsiders, Cuba, n’est pas un acteur d’envergure à cause de l’embargo. Pourtant, le régime a su convaincre le Brésil d’être son bailleur de fonds pour le projet du port de Mariel. Toutefois, les perspectives de bouleversement dans l’organisation des échanges par un port cubain sont aujourd’hui quasiment nulles. Cuba ne sera pas un game changer régional. Il est clair que ce projet s’inscrit davantage dans une dynamique diplomatique, et s’analyse à la lumière des cinquante dernières années.

La participation d’acteurs extérieurs

Devant la hauteur de l’événement, des partenariats stratégiques ont été tissés avec des acteurs non-caribéens. Le terminal de Caucedo est une propriété de Dubaï, Hong Kong’s Hutchison Wamphoa a construit l’un des terminaux de Freeport, et un conglomérat entre Odebrecht (Brésil) et Singapore PSA International s’est monté pour la gestion de Mariel. Ces différents partenariats public-privé permettent l’injection rapide et massive de fonds dans des projets coûteux, tout en apportant une expérience qui rassure et attire compagnies maritimes et affréteurs.

La position des Etats-Unis face à cet enjeu dans leur ancienne Mare Nostrum

Ces projets concurrencent les grands ports du golfe du Mexique. Pour plusieurs raisons, l’espoir américain repose sur Miami, qui s’est vu octroyer une aide du gouvernement pour mener à bien son expansion, chiffrée à plus 2 milliards de dollars, afin d’en faire l’unique port métropolitain susceptible de concurrencer les rivaux caribéens.
Washington peut aussi espérer tirer profit de Porto Rico, idéalement positionnée à l’embranchement de plusieurs routes maritimes. Le gouvernement de l’île mise également sur le port de Ponce qui présente naturellement une profondeur suffisante, mais les investisseurs ne sont pas légion.

Le déplacement de l’activité économique mondiale en Asie va avoir des conséquences certaines pour la route de Panama

L’impraticabilité du canal a eu pour corolaire la consolidation d’un axe d’échanges entre l’Asie et l’Amérique du Nord via le réseau ferré américain. Bien qu’il soit plus onéreux, ce système rodé concurrence directement le canal.
La mise en place de corridors d’échanges pérennes, qui ne cesse de s’intensifier, entre l’Asie et la façade atlantique de l’Amérique du Sud et le Golfe de Guinée, favorise l’itinéraire, plus rapide, du Cap Horn. Ce trajet sera de plus en plus emprunté dans le futur.
Enfin, la fonte de la banquise, en été, libère, sur des périodes de plus en plus longues, les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est et peut à terme entraîner une réorientation du trafic vers ces routes arctiques beaucoup plus courtes.
Face au réchauffement climatique, au développement économique des émergents, le canal de Panama devra probablement s’incliner face à d’autres routes.

* Antoine Rivière est chercheur au sein du groupe d’études Amérique de l’IPSE.

1 Profondeur, longueur de quai de déchargement, infrastructures de déchargement (grues…).