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L’OPEP et le marché pétrolier : une réplique inédite, par Luis Avila*

A l’issue de la 166e réunion ordinaire de l’OPEP, tenue à Vienne, le message a été envoyé : la production journalière de pétrole reste immuable, 30 MMB.
Les producteurs arabes OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole) et plus précisément ceux du golfe persique, ont les réserves financières suffisantes pour endurer la conjoncture actuelle. Ils se sont réunis quelques jours avant l’assemblée de Vienne, à Kuwait, pour accorder une position et arriver à enjoindre une stratégie inédite dans l’histoire de l’OPEP.
L’hétérogénéité actuelle des intérêts représentés au sein de l’organisation, rend laborieuse la coordination de résolutions communes. L’Iran, avec des sanctions qui ont contraint le pays à réduire ses exportations et le Venezuela, qui peine à trouver une stabilité budgétaire avec l’état actuel des prix, sont les principaux partisans de la réduction des quotas de production.
Comment concilier des positions qui se trouvent aux antipodes, et arriver à définir une stratégie commune ? A travers un argumentaire qui s’empare du problème et non des postures, nous avons été les témoins d’un retournement sans précédents dans la stratégie usuellement déployée par l’OPEP pour réguler le prix du cru, le ministre du pétrole saoudien, Ali al-Naimi, met en place une manœuvre de longue haleine, l’Arabie Saoudite a persuadé ses confrères de maintenir le statu quo en ce qui concerne la production.
Les objectifs sont fixés. D’abord, le maintien de la part de marché OPEP (à peu près 40% du total global). Deuxièmement, comportant un acte de rétorsion envers les Etats-Unis, faire pression à travers le maintien du surplus actuel d’à peu près 2 MB/J dans le marché mondial, pour maintenir la tendance des prix et ainsi induire la décélération du développement de l’industrie du pétrole de schiste, qui a besoin d’un prix du cru élevé pour être compétitive.
Dans une portée purement géopolitique, un autre grand producteur, la Russie, voit ses intérêts atteints surtout dans la conjoncture actuelle, résultat des sanctions occidentales suite aux tensions en Ukraine. Pourrait-on également déduire que Riyad riposte aux actions d’appui de Moscou et de Téhéran à Bachar el-Assad. Ceci profite aux intérêts des Etats unis dans leur stratégie d’affaiblir la posture russe et accroît nettement les tensions dans le moyen orient.
La Chine continuera à profiter des bas prix, cependant, trouvera des complications dans le remboursement de la dette vénézuélienne.

Pourquoi l’OPEP change si diamétralement sa stratégie ?

La montée des prix reste toujours un objectif pour l’OPEP, malgré ce que l’on puisse considérer au premier abord. Seulement elle change radicalement sa stratégie et la carte joué cette fois est celle du long terme, un combat géopolitique mais aussi économique par usure est désormais engagé.
L’OPEP ne peut pas se permettre de réduire sa production, car l’éventuelle part de marché libérée serait satisfaite de suite, entre autres, par la vente de pétrole de schiste. La réalité n’est pas la même qu’auparavant, un pic dans la production n’est pas à portée. Les pays non-OPEP pourront, dans l’état actuel du marché, mitiger les effets d’une baisse d’offre OPEP, et par conséquent les prix ne reviendraient pas au-dessus de 100$, du moins dans le court terme.
Ainsi l’OPEP parie pour une hausse des prix sur le long terme, qui au passage freinera le développement de l’industrie du pétrole de schiste.
Cette nouvelle manœuvre se traduit dès à présent en multiples complications budgétaires, notamment pour les pays les plus vulnérables dépendants de la rente pétrolière. Une telle mesure ne peut être conduite que par ceux qui ont les réserves financières nécessaires pour tenir longtemps avec un cours du pétrole à bas prix. Ce panorama préfigure l’intensification des frictions non seulement à l’intérieur de l’organisme mais aussi avec la Russie.
S’il est vrai qu’à partir de cette décision de l’OPEP, les prix du pétrole continueront à la baisse jusqu’à leur stabilisation, on peut soutenir au même titre que nous ne sommes certainement pas face au début de l’ère du pétrole bon marché.
Un rapport de forces s’est nettement accru entre l’OPEP, l’Arabie Saoudite en tête qui refuse de perdre sa part de marché, et les Etats-Unis.

* Luis Avila est coordinateur du groupe d’études Amérique à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe – IPSE.