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Les dix risques qui menacent le monde en 2015, par Gérard-François Dumont

(Forum économique mondial – rapport de perspectives sur le monde en 2015 – 7/11/2014)

Commentaires de Gérard-François DUMONT

Les risques évoqués : 1/ L’augmentation des inégalités économiques, 2/ la montée du chômage, 3/ le manque de leadership, 4/ l’augmentation de la compétition géostratégique, 5/ l’affaiblissement de la démocratie représentative, 6/ la pollution globale, 7/ le dérèglement climatique, 8/ la montée du nationalisme, 9/ les difficultés d’accès à l’eau, 10/ l’augmentation des dépenses de santé.

Deuxième partie (6 à 10)

5 – L’affaiblissement de la démocratie représentative

Q : Les sondés sont particulièrement inquiets pour l’Afrique du Nord et le Proche-Orient (26% pensent que ce seront les régions les plus touchées par ce problème), mais aucune autre région n’est épargnée, avec des scores allant de 13% (Amérique du nord) à 16% (Europe et Asie). Le rapport se base notamment sur la baisse de participation aux élections législatives et présidentielles (ou équivalentes) au niveau mondial depuis les années 1970.
Il observe aussi que, dans le cas particulier de l’Union européenne, une grande majorité des citoyens estime que l’Union ne comprend pas leurs besoins.

GFD : L’évolution de la notion du temps est l’une des raisons de l’affaiblissement de la démocratie représentative. Avec le développement des TIC (technologies de l’information et de la communication), le monde va très vite, et beaucoup de nos contemporains inscrivent leur existence dans un hyper-court terme, dont dans des logiques de temps beaucoup plus courtes que celles de la démocratie représentative dont le temps est nécessairement plus long compte tenu des logiques de délibérations. Pour prendre un exemple, entre la nomination de Jean-Claude Juncker à la Commission européenne1 le 27 juin 2014 et son entrée en fonction début novembre 2014, il s’est écoulé plusieurs mois d’attente. Pendant ce temps-là, les citoyens européens, et également les entreprises européennes, se trouvent dans un attentisme qui n’est pas de nature à satisfaire leur impatience. De telles longueurs de calendrier provoquent des incompréhensions chez les citoyens. Dans l’affaire de la retenue d’eau de Sivens (Tarn) ayant conduit à des manifestations violentes à l’automne 2014, l’une des raisons qui a favorisé la contestation est le délai très long entre le lancement du projet et de sa réalisation. En outre, l’affaiblissement de la démocratie représentative s’explique parce que les citoyens éprouvent des difficultés à se reconnaître dans leurs représentants, dans la mesure où certains modes de fonctionnement de leurs représentants ou des insuffisances de transparence ne sont guère acceptables. En France par exemple, le Parlement, encore en 2014, émet des votes sans transparence, car à main levée, sans publication systématique de la liste des parlementaires permettant de savoir quelle position de vote chacun d’entre eux a choisi.

6 – L’augmentation de la pollution

Q : Là encore, l’Asie est la source de toutes les inquiétudes, avec 37 % des sondés qui pensent qu’elle sera la région la plus confrontée à ce problème en 2015. Mais de manière plus globale, une majorité des personnes interrogées de 34 pays, dont 9 en Asie, pensent que la pollution est un problème pour leur pays. En Chine, la pollution de l’air a été responsable de la mort prématurée de 1,2 million de personnes en 2010, rappelle le rapport, et de la perte de « 25 millions d’années de vie en bonne santé ». Les données du rapport montrent que la concentration de particules fines dans l’air va baisser d’ici 2050 dans les pays de l’OCDE, mais qu’elle va continuer à augmenter en Asie du sud, en Inde et en Indonésie. En Chine, elle est six fois plus élevée que les recommandations de l’OMS… Et ça ne changera pas dans les décennies à venir.

GFD : Cette menace que représente l’augmentation de la pollution dans les pays en voie de développement est absolument incontestable. Ce n’est pas une menace, mais une quasi-certitude car les mesures pour enrayer la hausse de la pollution ou, mieux, pour la faire diminuer dans des pays comme la Chine ou l’Inde, demandent des efforts à conduire sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. En revanche, je suis surpris que le Comité pour améliorer l’état du Monde du World Economic Forum oublie de préciser que, du fait de cette augmentation, les populations les plus touchées par cette pollution ont des risques de minoration de leur espérance de vie. Là où la pollution s’aggrave ou est forte, les risques de morbidité, dont les cancers, et de mortalité sont plus élevées. Cela se constate par exemple dans certains territoires en Chine.

7 – L’augmentation de la fréquence des évènements climatiques extrêmes

Q : Ce phénomène est « une conséquence majeure du changement climatique » explique Adil Najam, doyen à l’université de Boston. L’inquiétude est surtout vive en Amérique du sud, en Asie, en Europe et en Afrique, mais pas au Proche-Orient ni en Amérique du nord. Cette inquiétude est surtout partagée par les gouvernements, les universités et les organisations internationales… Pas par les chefs d’entreprise. L’impact économique de ces phénomènes est pourtant en forte augmentation.

GFD : La fréquence accrue des évènements météorologiques est directement liée aux changements climatiques, sans que toutefois les scientifiques aient réussi, à ce jour, à établir tous les mécanismes qui peuvent l’expliquer. Il faut ajouter que les conséquences du changement climatique sont extrêmement contrastées selon des territoires. Il est donc très difficile, voire erroné, d’en faire une analyse globale. Par exemple, le changement climatique peut se traduire par des sécheresses dans certains territoires, et des excès de pluviométrie dans d’autres.

8 – La montée du nationalisme

Q : Coïncidence ou pas, c’est l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown qui est chargé de commenter ce défi… Le Royaume-Uni qui connait justement une forte poussée du parti eurosceptique UKIP. Il écrit que « nous n’avons pas besoin de couper les liens qui nous unissent pour nous en sortir dans le monde moderne ». Après le référendum pour l’indépendance en Ecosse, les sondés sont les plus inquiets pour l’Europe.

GFD : Dans un monde globalisé qui signifie des risques ou une peur de l’uniformisation, la nature humaine réagit par une plus forte préoccupation à promouvoir des spécificités identitaires. La montée des nationalismes, des régionalismes, ou plus généralement d’attitudes identitaires est donc la conséquence de la globalisation politique, de l’internationalisation géographique qui réduit l’espace-temps et des stratégies mondialisées des entreprises. Les hommes tiennent à leurs identités, à leur culture propre, ce qui ne manque pas de trouver un écho chez les personnalités politiques des pays.
Il y a donc deux aspects dans ce que le rapport du World Economic Forum appelle l’émergence du nationalisme : le premier correspond à un désir logique de compenser la globalisation par un souci de valoriser sa propre identité, de témoigner de sa différence, de son originalité, ne serait-ce qu’en matière culinaire ; le second tient à l’exploitation politique de sentiments nationalistes, souvent par des autorités politiques qui veulent masquer les
insuffisances qualitatives de leur gouvernance ou leur incapacité à élaborer des programmes politiques favorables au bien commun.

9 – Les difficultés d’accès à l’eau

Q : Les régions les plus affectées par ce phénomène sont situées au Proche-Orient et en Afrique du nord, ainsi qu’en Asie de l’ouest et du centre. « L’Asie subira un problème d’accès à l’eau dû à un manque de ressources ; celui de l’Afrique sera dû à un manque d’argent », commente l’acteur Matt Damon, co-fondateur de l’ONG Water.org.

GFD : L’accès à l’eau est un problème ancien. L’Homme a toujours eu besoin de maîtriser l’eau pour la production agricole, pour vivre, et aussi pour prévenir les inondations. L’histoire enseigne de premiers aménagements des cours d’eau en Mésopotamie trois millénaires avant notre ère. Aujourd’hui comme hier, l’accès à l’eau suppose un aménagement du territoire adapté. Or, dans un certain nombre de pays, il y a un retard en termes d’équipement en réseaux d’eau, d’entretien de l’équipement et de traitement des eaux usées, notamment en vue de leur réutilisation via un nouveau réseau de distribution. Dans certaines villes du Maghreb par exemple, on enregistre une perte d’eau, liée à des infrastructures mal entretenues, qui peut aller jusqu’à 50 % de l’eau potable envoyée dans le système de distribution. Dans d’autres pays du Sud, la distribution d’eau via des bidons coûte au consommateur final plus cher que si la bonne gouvernance permettait une distribution de l’eau par la réalisation des réseaux que les professionnels de ce métier savent faire.

10 – L’augmentation des dépenses de santé

Q : Une majorité de répondants de 34 pays estiment qu’il s’agit d’un gros problème pour leur contrée. Avec l’augmentation de la population et son vieillissement, les dépenses de santé ne font en effet qu’augmenter. Et pour les pays émergents, il ne s’agit même pas d’une question de financement de ces dépenses… mais d’abord d’un accès pur et simple à la santé.

GFD : L’importance de la santé dans l’économie est toujours fondamentale car le niveau de création de richesses est liée à la productivité des actifs, elle-même liée à leur bonne santé. Cette évolution citée pour 2015 n’a rien de nouveau. Demain, aujourd’hui comme hier, investir pour une meilleure santé des populations est toujours une nécessité non seulement sociale, mais aussi économique.

1 Sur les difficultés de la démocratie représentative au sein de l’Union européenne, cf. Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin.